PAROLE DONNÉE

Les produits de Monsieur Paul

Les halles de Lyon, installées depuis le début des années 2000 dans le quartier de La Part-Dieu et rebaptisées les halles Paul Bocuse en 2006, rassemblent une cinquantaine de commerçants de bouche dont la plupart travaillent depuis plusieurs générations avec Monsieur Paul.

TEXTE LESLIE GOGOIS I PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

PAROLE DONNÉE

Les produits de Monsieur Paul

Les halles de Lyon, installées depuis le début des années 2000 dans le quartier de La Part-Dieu
et rebaptisées les halles Paul Bocuse en 2006, rassemblent une cinquantaine de commerçants de
bouche dont la plupart travaillent depuis plusieurs générations avec Monsieur Paul. Un ambassadeur
de choix qui a toujours prôné son amour des produits et leur qualité irréprochable lors de ses
nombreux voyages, apportant au fil des années une reconnaissance internationale aux producteurs
des halles. Des st-marcellin de la mère Richard à la rosette de Colette Sibilia, les touristes se pressent
pour goûter à ces produits phares et peut-être croiser Mr Paul au détour d’une allée. Un sens des
affaires et de l’amitié mêlés que nous dévoile ici le clan Bocuse. Hors les halles, à Caluire pour
Yannick Fressenon comme avenue Franklin Roosevelt pour Philippe Bernachon, on complète la quête
de l’excellence.

TEXTE LESLIE GOGOIS I PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

La mère Richard : « Mr Paul ? La générosité incarnée »
Objet de tous les fantasmes gastronomiques, le saint-marcellin de la mère Richard est réputé dans le monde entier. De l’affinage si parfaitement maîtrisé au sens inné de la communication de Renée Richard en passant par des fromages si savamment emballés dans leur papier, la fromagerie de la mère Richard, mère et fille, est depuis bien des années une institution chère au coeur et aux papilles de Mr Paul. « Ma maman a créé sa boutique en 1965 dans la presqu’île, aux halles des Cordeliers. Lorsque les halles ont déménagé en janvier 1971, elle a suivi. Paul est gourmand, il aime les fromages et les produits de qualité. Très exigeant, il ne veut exclusivement que du beurre et de la crème de Normandie mais aussi des fromages toujoursaffinés impeccablement. C’est lui qui a surnommé ma mère “la mère Richard”, un jeu entre elle et lui, en référence aux mères lyonnaises si connues. Du coup, le surnom de maman est devenu le nom de la maison. Paul Bocuse a été aussi et surtout l’un des premiers chefs à indiquer la provenance de ses fromages en indiquant le nom de ma mère sur sa carte. Ce fut un vecteur de communication essentiel pour la renommée de notre maison et de nos produits. » Lors de ses voyages de promotion de la gastronomie française à l’étranger, Mr Paul invita plusieurs fois Renée Richard à l’accompagner : « Il y a quelques années, Mr Paul m’a emmenée au Japon et aux États-Unis, on découvrait des choses formidables : le marché aux poissons à Tokyo ou les vignobles de Californie… Cela reste pour moi des souvenirs éblouissants. Arriver quelque part avec Mr Paul, c’est un sésame fabuleux : toutes les portes s’ouvrent et on peut rencontrer beaucoup de monde grâce à lui. » Grand connaisseur des produits de qualité, Paul Bocuse a compris que les bons artisans étaient, au même titre que lui, des ambassadeurs de la grande cuisine française. « Mr Paul est la générosité incarnée. Cette générosité incroyable se retrouve aussi bien dans l’assiette que dans la façon qu’il a d’emmener tout le monde avec lui, aussi bien les restaurateurs et les cuisiniers que les fournisseurs. Il a contribué à la réussite de tous et n’a jamais voulu tout avoir pour lui tout seul. Il a partagé sa renommée. C’est un monsieur qui aime beaucoup faire plaisir aux autres. Les clients vont chez lui pour se régaler mais aussi parce qu’il se prête volontiers au jeu d’une photo, qu’il raconte volontiers des anecdotes. Il aime écouter ses clients. Cela lui fait plaisir que les gens repartent heureux et comblés de chez lui. »

Colette Sibilia, « Paul Bocuse, c’est un Monsieur »
Saucisson, rosette, andouillette ou jambons, ils sont tous dans l’antre de Sibilia. Colette Sibilia, la Brigitte Bardot des charcuteries lyonnaises, revient avec émotion sur 60 ans d’amitié avec Monsieur Paul. Difficile de résumer en quelques mots autant de souvenirs. « La cuisine n’existait pas avant lui. Il a fait sortir les chefs de leur office pour qu’ils achètent les produits eux-mêmes. Quand on fait le tour des halles le dimanche matin, je le vois regarder la fraîcheur des poissons, les origines des produits, il les connaît, c’est un vrai professionnel. » Des voyages en Amérique, où il lui a fait prendre l’avion pour la première fois, aux mâchons du vendredi matin au café face à la Halle en compagnie des chefs pour le casse-croûte, ils en ont vécu de belles : « Son jambon au foin il adorait ça, le sabodet aussi… Quand il fait son pot-au-feu à la jambe de bois il prend du saucisson à cuire, du lard, un peu de tout. Il aime tous les produits cuits qui vont bien avec les soirées de chasse. » Après le décès de son mari, il ne l’a jamais laissée tomber : « Mon mari lui fumait ses jambons pour l’abbaye, il adore le jambon au foin. Si je ne l’avais pas eu parmi mes amis, je n’existerais peut-être plus. Je me suis retrouvée toute seule avec mes 5 filles, il m’a permis de développer ma clientèle auprès des restaurateurs de Lyon et de Paris, si je travaille c’est grâce à lui. » En prime, Monsieur Paul a le sens de l’amitié. « Il a toujours su garder une place pour ses amis. Maintenant il vient me voir tous les dimanches matin à huit heures moins le quart, il est très précis. C’est notre parrain sous les halles, il y a beaucoup de cars qui s’arrêtent parce que ça s’appelle Paul Bocuse et non pas simplement les halles de Lyon. » Beaucoup de souvenirs qui mériteraient des heures autour d’une table : « Quand j’étais plus jeune il m’appelait “Jackie” parce que j’étais toute frisée avec des joues rondes, je lui faisais penser à la maman de Michel Sardou. La mère Richard il l’appelait la mère Richard et moi il m’appelait Jackie. Il faudrait que je demande à Monsieur Sardou si je ressemble à sa maman maintenant… Il aimait bien surnommer les gens, leur donner des prénoms. On se connaît depuis 60 ans et pour moi c’est un Monsieur, c’est Monsieur Paul. Très respectueux de tout le monde, ce qui fait sa force, il va saluer les gens avec toute sa simplicité, c’est extraordinaire. »

Maurice Trolliet « La connaissance des produits »
Salers, veau sous la mère, agneau du Limousin, agneau de pré-salé, cochon fermier ou gibier de Sologne,
Maurice Trolliet, artisan-boucher Meilleur Ouvrier de France, est un homme discret qui a beaucoup d’amitié pour Mr Paul : « 21 ans qu’on est sous la halle, on a toujours travaillé avec lui. Quand on voit arriver Mr Paul avec un petit sourire en coin et l’oeil qui brille, tout va très bien. Rapide, courtois, il a la délicatesse de venir nous saluer tous les dimanches matin. Des cuisiniers, on en voit plus guère sous les halles. Mr Paul est encore une personne qui parle du produit, le regarde, reconnaît sa qualité et les morceaux dont on faisait des recettes d’autrefois exceptionnelles. On sait ce qu’il aime et le produit dont il a besoin. Il a eu la gentillesse et l’intelligence d’accepter que la halle soit renommée halle Paul Bocuse pour la reconnaissance de la qualité des produits. »

Pierre Bastin « Paul Bocuse, c’est le Louvre »
À l’angle des halles, la volaille de Bresse est dignement représentée par Pierre Bastin et son fils. Sur l’étal où s’alignent pigeons, canettes, poulet fermier des Dombes etles volailles de Bresse, trône avec panache un coq chamarré offert il y a des années par Christophe Muller, chef des cuisines à Collonges. Installé il y a près de 20 ans, c’est Monsieur Paul qui lui a donné sa chance dès ses débuts sous les halles. « Il m’a dit maintenant c’est à toi de jouer, ça va faire 20 ans. Paul Bocuse, c’est la famille, l’un des derniers personnages à faire vraiment attention aux gens. À chaque fois qu’il vient, il demande des nouvelles, il est très attentif à tout ce qui se passe autour de lui. Avant de penser à lui, il a toujours pensé au rayonnement de Lyon et de la France. » La volaille de Bresse rôtie, pochée, à la crème, le pigeon en croûte ou la canette encore rôtie, c’est l’un des rares chefs à garder la volaille à l’honneur à sa carte. « À Collonges c’est une cuisine de produit, la qualité y est à son comble. » Des commandes passées tard le soir après le service, Pierre Bastin y est habitué, il livre tous les matins à Collonges, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Car « Collonges c’est mythique. C’est un ensemble, là-bas on est à l’aise, apaisé, c’est une vraie maison. Pour moi, Monsieur Paul, c’est le Louvre, c’est la base, les grands classiques. Le reste c’est de l’art contemporain, il y en a pour tous les goûts. »

Sandrine Bahadourian « La Transmission »
La caverne aux merveilles, voilà comment l’on devrait surnommer l’épicerie de la famille Bahadourian. Une véritable caverne d’Ali Baba où se mêlent épices, herbes et aromates, condiments, huiles et vinaigres sur 600 m2 d’odeurs et de senteurs inconnues. Au sous-sol, un véritable dédale de rues où sont stockées les réserves de l’épicerie fine reconstitue le quartier de la Guillotière. Une passion pour les saveurs et les produits authentiques transmise depuis 80 ans aux deux petites-filles de la famille parmi lesquelles figure Sandrine Bahadourian. « Ma soeur et moi avons eu la chance d’évoluer dans le domaine de la gastronomie, de faire le tour des grands chefs du monde avec nos parents. Quand on allait à Collonges, Mr Paul venait à table, on avait le droit d’aller dans la cuisine, de goûter, c’était magique. Ça m’a ouvert les papilles très tôt et ça m’aide aujourd’hui dans la recherche de fournisseurs et d’artisans ou lorsque je crée pour les produits spécifiques Bahadourian : sauces, confitures, chutney… » L’anecdote est désormais célèbre. Lors d’un déjeuner à Collonges, Armand Bahadourian s’est permis de faire remarquer que tout était parfait, sauf les pruneaux, trop petits à son goût. Le lendemain, il s’est empressé de faire parvenir un carton de pruneaux de très gros calibre à Mr Paul : leur relation commerciale et amicale était lancée. « Monsieur Paul était toujours à la recherche de bons produits et de produits bruts. À chaque fois qu’il demandait quelque chose, papa lui trouvait, ça a créé une relation amicale entre eux. Moi je suis arrivée après, on s’entend très bien avec son gendre Vincent Le Roux et toute son équipe mais le contact privilégié de Mr Paul, ça reste mon père. » Une histoire de transmission sur plusieurs générations de ce goût de la cuisine et des produits. « Ça a démarré très tôt avec Monsieur Paul, je me suis mariée là-bas, mes enfants sont de petits gastronomes qui ont pu aussi connaître de bons établissements comme celui-ci. La soupe VGE, extraordinaire, même mes enfants essayent de la refaire à la maison tellement ils trouvent cette recette sublime. Mon fils était en stage dans les cuisines de Collonges, ça leur donne aujourd’hui envie de cuisiner, ils sont
passionnés. »

M. Fressenon « Notre réussite à tous »
Les légumes de la famille Fressenon et Paul Bocuse, c’est une longue histoire de plus de 50 ans. « On le sert depuis 1951, c’est un peu notre père à tous dans les affaires. À l’époque, on ne faisait que du melon, il y a 30 ans en arrière, on n’avait pas toute cette gamme de produits : des melons l’été et des oranges l’hiver, Monsieur Paul appelait mon père “Jeannot Melon”. » Très vite, la famille a dû s’adapter aux évolutions et diversifier ses produits puis proposer un service de livraisons pour les restaurateurs : « Il y a 30 ans, Mr Paul venait avec tous les chefs au marché Saint-Antoine sur les coups de 7 heures. Ils choisissaient leur marchandise et l’emmenaient eux- mêmes dans leur établissement alors que maintenant, avec les contraintes horaires, ils ne peuvent plus se permettre de passer 2 heures au marché, on est obligés de les livrer. » Livrer le produit à peine ramassé, le plus frais possible, tel est leur credo : « Si Monsieur Paul m’appelle et me dit qu’il a besoin de framboises, j’y vais maintenant. On ne regarde pas l’heure ou le temps qu’on y passe, on livre 365 jours par an douze heures par jour, Monsieur Paul doit être le dernier restaurant étoilé ouvert sept jours sur sept, ce qui compte c’est la fraîcheur du produit, on ne peut pas tricher là-dessus, le but c’est que le client soit content. » Ambassadeur à l’international, Monsieur Paul a beaucoup fait pour la reconnaissance des produits : « La marchandise a un coût, pour Monsieur Paul, la notion de prix entre en jeu mais elle n’est pas prépondérante. À Paris les chefs ont 2 à 3 fournisseurs pour le même produit, à Lyon ça n’existe pas. On est une chaîne de producteurs : celui qui fait pousser la marchandise, celui qui la livre, qui la cuisine, il y a un équilibre alors pourquoi aller chercher ailleurs quand quelqu’un donne satisfaction ? Il a fait beaucoup pour la reconnaissance de nos produits. Moi qui n’ai pratiquement jamais quitté Lyon, on a fait la couverture du NY Times ! On me dit que je suis en photo aux États-Unis alors que je n’y suis jamais allé. Il nous a apporté la reconnaissance. » Très ému Jacques Fressenon reconnaît que sa famille en est déjà à la 3e génération au service de Paul Bocuse, son fils ne travaillera probablement plus dans une telle philosophie : « S’il y avait 3 mots pour le qualifier, c’est amitié, générosité et fidélité. C’est incroyable ce qu’il a fait pour moi et pour d’autres, il ne nous a jamais laissé tomber. Je suis fier de sa réussite, c’est une réussite mondiale et c’est un peu notre réussite à tous. »

Philippe Bernachon « mon grand-père Bocuse »
Le célèbre chocolatier Bernachon est lié depuis toujours à Paul Bocuse puisque Philippe Bernachon n’est autre que le petit-fils de Monsieur Paul. Tombé tout petit dans la marmite des bonnes choses entre la chocolaterie de son grand-père Bernachon et son grand-père Bocuse qui leur rendait souvent visite, il tient désormais la destinée de la chocolaterie familiale avec ses soeurs et sa mère Françoise. Une histoire de famille qu’évoque le maître chocolatier avec pudeur. « Pour moi, c’est plus mon grand-père que Monsieur Bocuse. Quelqu’un de très simple, qui vit tranquillement et à qui il suffit de peu de chose. J’aime aller de temps en temps à la chasse avec lui, plutôt pour se promener et se retrouver. Parfois j’emmène mes filles avec moi, tous les quatre, on se balade tranquillement en famille. » Une simplicité qu’il a su conserver dans sa filiation avec la maison entre classicisme et chic absolu : le palet d’or, l’aveline ou l’amande princesse sont toujours à l’honneur dans la célèbre maison. Une passion et un savoir-faire qui l’amènent à créer ses propres couvertures de chocolat et torréfier lui-même les fèves de cacao d’Amérique du Sud afin d’obtenir le meilleur chocolat possible, « le goût Bernachon ». « Quand il dit qu’il fait de la cuisine avec des os et des arêtes, notre pâtisserie c’est un peu comme sa cuisine. Il aime des gâteaux avec de la génoise, de la crème pâtissière et de la pâte d’amandes comme l’Ambassadeur, parce que pour lui c’est un vrai gâteau. Des choses simples mais concrètes, il aime les gâteaux qui ont des goûts que l’on puisse retrouver facilement, le chocolat noir… »