PAROLE DONNÉE

Le monde sucré de Pierre Hermé

Associé depuis 1997 à Charles Znaty, son fidèle complice, Pierre Hermé a lancé une maison de haute pâtisserie sous son nom. Après ses années chez Lenôtre, Fauchon, puis Ladurée, ce maestro du goût sucré n’a eu de cesse de créer des lieux épatants et de marquer les papilles des gourmets que ce soit avec ses macarons mondialement connus ou avec ses créations percutantes, dont certaines sont aujourd’hui devenues cultes.

TEXTE LESLIE GOGOIS | PHOTO STÉPHANE DE BOURGIES, SERGIO COIMBRA, LAURENT FAU, GILLES LEIMDORFER, PIERRE HERME PARIS ET PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

PAROLE DONNÉE

Le monde sucré de Pierre Hermé

Associé depuis 1997 à Charles Znaty, son fidèle complice, Pierre Hermé a lancé une maison de haute pâtisserie sous son nom.

Rencontrer Pierre Hermé, l’icône même de la pâtisserie française dans tout ce qu’elle a de plus réussi, est un moment forcément attendu. Et pourtant, derrière ce roi du sucré se cache un homme passionné certes, mais surtout accessible. Nous sommes reçus dans son laboratoire de création situé dans un hôtel particulier rue Fortuny, à Paris. Ce jour-là, il est entouré de Mickaël Marsollier et Manon Derouet, une partie de l’équipe R & D, en pleine séance de dégustation. L’enjeu ? goûter différents essais d’un macaron à base de caramel et cassis. Les coques sont identiques, la compotée de cassis aussi. Reste à définir le bon équilibre de caramel en dégustant 3 versions préparées en amont. Pierre Hermé goûte, prend le temps, re-goûte. « Ici, le caramel est un peu perdu. Là, j’aurais mis moins de crème. Dans ce dernier essai, le rapport goût-texture est parfaitement dosé. » Et en quelques minutes, Pierre Hermé lâche son verdict : la puissance du caramel ressort mieux sur le 3e essai. La recette est ainsi validée.

Mais la mission du jour ne s’arrête pas là. Il s’agit maintenant de goûter 6 ricottas différentes, en version brute, pour savoir laquelle s’intégrera le mieux dans un dessert en cours de réalisation. Pierre Hermé s’intéresse au goût bien sûr, mais aussi à la texture, au prix d’achat, à la composition… Rien ne lui échappe. Et à cet instant précis, nous comprenons à quel point ce grand professionnel a une capacité extrêmement rare : travailler vite et bien, décider tout aussi vite et bien. Il lui aura fallu moins de 5 minutes pour choisir la ricotta qu’il préfère. Une efficacité tranchante. Place ensuite au dessin de la bûche de Noël qu’il est en train de créer pour le Royal Monceau. Son équipe de R & D lui montre les premiers essais réalisés à partir des dessins et des dimensions qu’il avait donnés. « Il reste 5 mm de marge entre le décor et la boîte. Mais avez-vous tenu compte de l’épaisseur du carton ? Il faut toujours penser à la manipulation » précise-t-il.

Direction ensuite son bureau, situé un étage en dessous. Pierre Hermé nous fait alors découvrir une véritable mine d’or : une pochette contenant des dizaines et des dizaines de dessins. Tout est parfaitement trié, daté, rangé. Ici, se cachent toutes les pistes créatives pensées par ce créateur insatiable. Des croquis, de vrais dessins aboutis, quelques phrases pour décrire la construction d’un entremets… Pierre Hermé tourne les pages et au fur et à mesure on découvre un monde infini de recettes à tester. « Le 23 février 2016, nous avons, par exemple, fait un essai de macaron à l’erba barona, une variété de thym corse, mais nous avons tout laissé en stand-by car nous n’avons pas trouvé la matière première en quantité suffisante ». Sur la page d’après, il s’agit d’un dessert à boire, Céleste, avec le dessin très détaillé et la recette : « Cette création a fonctionné du premier coup. » Un peu plus loin, les premières pistes pour un Infiniment verveine ont été tracées. « Cette recette n’a pas encore été testée mais elle est prête »… Définitivement, chez Pierre Hermé, le souci du détail est poussé à l’extrême. Quand talent et efficacité se conjuguent à l’unisson.

Quelle est votre vision de la pâtisserie ?
Pour répondre à cette question, il faut se replonger dans un côté historique. Dans les années 80, lorsqu’un pâtissier voulait se faire embaucher, il arrivait à son entretien avec des photos de ses réalisations en sucré tiré… Je lui demandais alors « Et les gâteaux, vous savez faire ? ». Aujourd’hui, cette tendance est un peu derrière nous. Nous sommes revenus à des choses plus simples. J’ai d’ailleurs toujours dit que mon métier de pâtissier consistait à confectionner des gâteaux, à procurer des émotions aux gens et à leur faire vivre une expérience. J’ai constamment œuvré dans ce sens-là.

Comment définiriez-vous l’ADN de la Maison Pierre Hermé ?
Selon moi, il existe deux façons de travailler : créer des associations de saveurs ou alors sublimer un goût. Notre gamme d’Infiniment, qu’il s’agisse du citron, du café, du praliné ou de la vanille, cherche ainsi à aller au paroxysme du goût du produit travaillé. Si on prend l’exemple de la tarte Infiniment praliné, l’idée est de proposer aux gens le goût du praliné tel que je l’aime et que j’aime faire partager. J’ai toujours travaillé de cette façon-là mais inconsciemment ; c’est Charles Znaty, mon associé, qui me l’a fait remarquer…

Justement, comment est née cette idée des Infiniment ?
Les Infiniment, c’est une forme de quintessence, ma quintessence. J’ai démarré avec la vanille… Aucune vanille seule ne me donnait satisfaction : celle de Tahiti était un peu outrancière, tandis que je trouvais celles de Madagascar et du Mexique courtes en bouche par rapport à l’amplitude recherchée. D’où l’idée d’un blend « maison », qui est, selon moi, l’expression idéale du goût de la vanille.

Comment créez-vous vos associations de goûts ?
Je me projette dans une association de saveurs et j’essaie, à travers les matières que je connais, de la transformer en goût. Tout démarre toujours d’une projection intellectuelle avant de devenir une projection physique. Je pars d’un dessin, d’une recette griffonnée qui est ensuite testée dans notre laboratoire par l’équipe de R & D.

D’où vient votre inspiration ?
Tout m’inspire : les rencontres, les produits, les images, les discussions… Ce matin, j’ai, par exemple, visité l’exposition Delacroix en visite privée au musée du Louvre ; je garde ce moment dans un coin de ma tête et peut-être me resservira-t-il à un moment ou un autre… L’autre jour, j’ai senti dans la rue des effluves du parfum Hermès à base de citron noir. Une expérience qui m’a interpellé, car jusqu’alors je l’avais essayé sur moi mais là, je sentais son sillage. Pour moi qui ai déjà travaillé le citron noir, je trouvais intéressant de le sentir porté par quelqu’un…

Vous utilisez souvent l’expression « architecture du goût ». Qu’entendez-vous par là ?
Cette expression me tient à coeur. Le travail de création consiste à transformer des saveurs en textures, en sensations ; c’est que ce j’appelle l’architecture du goût. Il s’agit de la façon de percevoir un dessert lorsqu’on le goûte. Je sais décrire ce que les clients vont ressentir lors de la dégustation.

Votre entremets Ultime à base de vanille et chocolat a nécessité de nombreux essais avant d’être créé. Racontez-nous…
Je voulais créer, depuis longtemps, un entremets à base de vanille et de chocolat. Or, dans tout ce que j’avais goûté jusqu’alors, soit l’un de ces goûts prenait le pas sur l’autre, soit le gâteau manquait de caractère. Mais depuis mon passage chez Lenôtre, je savais que les gens aiment particulièrement cette association de vanille et chocolat, ce qui était un motif suffisant pour trouver notre propre recette. Il a effectivement fallu de très nombreux essais, cette création a été un réel cheminement. Au final, sur un sablé chocolat viennent se superposer plusieurs couches, pas trop épaisses car les textures sont assez denses. Je suis très content du goût de ce gâteau…

Parlez-nous de vos macarons salés, notamment celui à base de foie gras ?
Il ne s’agit pas de macarons « salés ». Il me paraît d’ailleurs absurde de réaliser des macarons salés, ça ne me parle pas. Dans celui au foie gras par exemple, que j’ai créé dès 2003, je retranscris le goût du foie gras dans un macaron mais en restant dans un univers et un goût sucré. Le foie gras est souvent servi avec des condiments sucrés, je suis parti de sa douceur. La noisette du Piémont, subtile, offre une suave complémentarité avec la douceur du foie gras. J’ai voulu faire disparaître le côté gras du foie gras en le travaillant en délicate gelée sur la base d’un bouillon de volaille. Ce macaron est devenu incontournable à Noël, nous l’avions arrêté pendant un an mais les clients nous l’ont redemandé.

Comment bien doser le sucre en pâtisserie ?
Le sucre doit être travaillé comme un assaisonnement ou un condiment. Toute la difficulté est de maîtriser son pouvoir. Celui qui a inventé le millefeuille a eu l’ingénieuse idée de combiner une crème normalement sucrée, avec une pâte aux notes salées et un glaçage extrêmement sucré. En termes d’architecture du goût, c’est parfaitement pensé. Le sucre doit être incorporé à sa juste dose au juste endroit. Pour le Royal Monceau, j’ai récemment réinterprété les kakigori, ces glaces traditionnelles japonaises. Cette création à base de glace pilée, de coulis et de fruits frais n’est absolument pas sucrée, le sucre arrive juste à quelques endroits, par touches. Lors de la dégustation d’un dessert, il faut créer des moments très sucrés en bouche et d’autres pas du tout… Ce va-et-vient est intéressant. Je réfléchis constamment à l’impact du sucre, à son intervention gustative : qu’apporte-t-il ? Où le place-t-on ?

Qu’est-ce qu’un dessert réussi ?
Il s’agit d’un dessert simplement bon et agréable, qui fait plaisir et suscite des émotions. C’est le seul compliment qui compte. Mais il n’existe aucune règle sur le sujet. Bien mal serait inspiré celui qui voudrait en édicter.

LE PAPE DU SUCRÉ
L’un des derniers ouvrages de Christophe Michalak, La Crème des pâtissiers (Ducasse Éditions) dresse le portrait de 35 pâtissiers actuels de talent, toutes générations confondues. Comme une photographie de la pâtisserie française dans tout ce qu’elle a de plus créatif et inspirant à travers le monde. Découverte du parcours de Pierre Hermé, extrait de ce livre.

« Fondée en 1870 à Colmar, la Maison Hermé est toujours restée dans la famille de père en fils. Je représente la 4e génération de pâtissiers. Mon père ayant appris les bases à l’école Richemont de Lucerne, les gâteaux qu’il proposait étaient d’influence suisse et germanique » explique Pierre Hermé. Un destin tout tracé puisqu’à l’âge de 9 ans, il sait déjà qu’il veut être pâtissier. Son apprentissage se fait chez Lenôtre à Plaisir, alors qu’il n’a pas encore 15 ans. « J’arrivais dans une maison emblématique, ce qui a été une école formidable pour moi. Depuis tout petit, j’avais eu l’habitude de nettoyer les plaques, faire la plonge ; petit à petit, le chef pâtissier, constatant ma motivation, s’est mis à me confier des tâches plus valorisantes. » De 1976 à 1981, Pierre Hermé poursuit sa formation chez Lenôtre d’abord au décor, puis dans la boutique de l’avenue Victor-Hugo où Gérard Prosper, le chef, lui dévoile les clés pour bien gérer une boutique : « Je n’avais même pas 18 ans, et pourtant, il a su me faire confiance. J’ai ainsi gagné beaucoup de temps dans mon parcours professionnel. »

Il fait son armée en tant que pâtissier du ministre de la Défense, « une expérience porteuse où je pouvais faire des essais, créer ». Le soir, il travaille à la Ferme Saint-Simon et le week-end chez Lenôtre. Un rythme effréné. S’ensuivent deux années chez le traiteur Saint-Clair aux côtés du chef Philippe Traineau, un de ses amis rencontrés chez Lenôtre. Puis direction Bruxelles en 1984 pour l’ouverture du Carlton, avec Alain Passard en cuisine, qui décroche 1 étoile Michelin en quelques mois, avant d’aller au Luxembourg à l’Hôtel Intercontinental. Le 1er janvier 1986, à 23 ans, Pierre Hermé débarque chez Fauchon. Il y restera 11 années où il déploiera dans cette maison mythique tout son talent, sa créativité et ses idées avant-gardistes en tant que chef pâtissier. Il sera le premier à proposer des collections printemps-été / automne-hiver, des gâteaux co-imaginés avec des designers, tels que Yan Pennor’s, comme sa célèbre Cerise sur le gâteau.

En 1997, il décide de lancer son entreprise et prend en main, en tant que consultant, la création Ladurée pendant deux ans, tout en travaillant au développement de sa propre enseigne. Il ouvre alors sa première boutique Pierre Hermé Paris, non pas en France mais au Japon en 1998. Trois ans plus tard, sa pâtisserie de la rue Bonaparte voit le jour. Depuis, le succès n’a fait que se propager de façon exponentielle, au point que ce génial pâtissier incarne aujourd’hui une des figures les plus marquantes de la pâtisserie mondiale avec plus de 45 points de vente et 600 salariés. Une véritable icône du sucré !