PAROLE DONNÉE

CHRISTOPHER COUTANCEAU, UNE CLAQUE IODÉE !

La cuisine de Christopher Coutanceau, chef doublement étoilé à la tête du restaurant qui porte son nom, est une ode à la mer… Jamais poissons, coquillages et crustacés n’ont été aussi bien choyés. Ici, tout est mis en oeuvre à chaque étape pour les sublimer. Qu’il s’agisse de sourcer le meilleur auprès des pêcheurs et mareyeurs autour de La Rochelle, de les préparer à leur juste cuisson avec leur juste assaisonnement. Tout paraît simple, si percutant en bouche, si incisif de fraîcheur et d’iode. Des saveurs marines qui atteignent cet essentiel que nous apprécions tant dans les grandes maisons étoilées. Une sublime découverte.

TEXTE LESLIE GOGOIS I I PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

PAROLE DONNÉE

CHRISTOPHER COUTANCEAU, UNE CLAQUE IODÉE !

La cuisine de Christopher Coutanceau, chef doublement étoilé à la tête du restaurant qui
porte son nom, est une ode à la mer… Jamais poissons, coquillages et crustacés n’ont été aussi bien choyés.

TEXTE LESLIE GOGOIS I I PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

Installé au bord de la plage de la Concurrence – la seule de La Rochelle -, ce restaurant aux larges baies vitrées offre une vue à couper le souffle. Comme une plongée dans l’océan qui lui fait face. Rien d’étonnant à ce que la carte de cette table étoilée soit presque entièrement dédiée aux produits de la mer. Une côte de cochon ibérique cuite au feu de bois et un ris de veau viennent (délicieusement) nourrir les esprits carnassiers qui se seraient égarés ici, mais pour le reste, l’iode se hisse en haut de l’affiche : les nobles turbots, soles et bars côtoient leurs plus accessibles confrères, sardines, lisettes et étrilles.

Les incontournables huîtres et Saint-Jacques n’empêchent pas la venue d’OMNI (Objets Marins Non Identifiés), tels que les vannets, casserons et autres pouces-pieds. Autant dire que les amateurs seront fous de joie et les récalcitrants conquis. « Je veux que le lieu jaune ait le goût de lieu jaune », résume Christopher Coutanceau. Une équation qui paraît simple. Et pourtant, bon nombre de restaurants, à force d’ingéniosité mal placée ou d’alliances trop audacieuses, dénaturent le goût originel de l’ingrédient principal qui compose une assiette.

L’année dernière, de conséquents travaux de rénovation ont été entrepris par Christopher Coutanceau et Nicolas Brossard, son associé, pour que la mer soit plus que jamais le fil conducteur de leur établissement : ainsi, les sublimes assiettes bleues, créées sur mesure avec la maison Coquet, sont incrustées de nacre, certains couteaux ont été dessinés avec Farol, un coutelier rochelais, rappelant les couteaux utilisés par les marinspêcheurs pour réparer leurs filets, de petites chaises destinées à recevoir les sacs des dames rappellent les chaises de plage, les luminaires font penser à des piques d’oursin stylisés… Sans compter sur l’incroyable travail réalisé sur la lumière : des sondes extérieures ont été installées sur le bâtiment pour que les lumières s’adaptent à la luminosité ambiante. « Il nous paraissait primordial de travailler uniquement avec des entreprises de notre région et que tout soit fabriqué localement » raconte Nicolas Brossard. Même démarche dans l’assiette où 90 % des produits cuisinés sont locaux. Qu’il s’agisse de la bière au miel ou du safran de l’île de Ré, de la fleur de sel,des poissons et coquillages de la région, du pineau des Charentes, des algues, des salicornes… Quant aux légumes, ils proviennent tous du potager de Philippe Bailly, un ami du chef avec qui il travaille depuis 12 ans. « C’est un homme formidable. Il a repris la ferme de ses parents et cultive pour moi des carottes colorées, des poireaux, des choux, des tomates, des fraises et des framboises, selon les saisons. Dès qu’il a fini un rang, je change le plat de la carte… Je suis extrêmement  respectueux de son travail. Passionné de nature, véritable dictionnaire vivant, il ne travaille aujourd’hui que pour moi et écoule le reste de sa production au marché » raconte Christopher Coutanceau. À peine cueillis, les légumes sont cuisinés dans la foulée. « Avec lui, on retrouve le goût des vrais légumes » s’enthousiasme le chef.

L’heure du coup de feu approche… Il est temps de passer en cuisine. Une cuisine calme, où l’ambiance paraît immédiatement agréable à vivre. « Nous passons ici entre 13 à 14 heures par jour, il est de mon devoir de créer une bonne atmosphère dans les cuisines pour l’équipe. Nous sommes là pour nous soutenir les uns les autres.

J’ai la chance d’être très bien entouré que ce soit de Benoît Godillon, chef pâtissier, doué, d’une discrétion totale, dévoué à la maison, c’est vraiment un grand de la pâtisserie, d’Abel qui est comme un tonton pour moi, il me préparait mes bouillies quand j’étais petit, il est d’une simplicité, d’une confiance… Jamais un seul arrêt maladie en 42 ans. D’ici quelques mois, il part à la retraite et c’est Vincent Schmitt, épaulé par Florian Pineau, qui va reprendre la place de second, quelqu’un de lui aussi très talentueux ». Au bout de la cuisine, trône un steam, marmite géante qui mijote. Une sauce américaine, dont la garniture aromatique offre de délicieux parfums, finit de cuire sous l’oeil avisé d’Abel. Autant dire que ce second de cuisine, qui travaillait déjà aux côtés de Richard Coutanceau, le père de Christopher à l’origine de cet établissement, pourrait lever un filet de poisson les yeux fermés : « Nous utilisons le steam pour les fumets de poisson, les jus de viande… La sauce américaine sera utilisée comme base pour réaliser la sauce du civet de homard, un de nos plats phares ; elle sera ensuite réduite avec de l’estragon, puis rehaussée d’un peu de gingembre et de citron vert » nous dévoile-t-il. Dans les assiettes, poissons, coquillages et crustacés sont souvent cuisinés dans leur plus simple appareil, une cuisson exceptionnelle, des saveurs nettes… Comme cette déclinaison de céphalopodes, ces carabineros au naturel ou ces sublimes noix de Saint-Jacques servie crues en carpaccio et caramélisées accompagnées de couteaux géants.

Rencontre avec Christopher Coutanceau qui tutoie constamment l’excellence.

Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Je dirais qu’il s’agit avant tout d’une mise en avant de produits de qualité dont je cherche toujours à garder le goût originel : une saint-jacques servie avec de la truffe blanche n’a pas d’intérêt à mes yeux car la truffe travestit son goût. Je veux sublimer des produits de qualité, aller à l’essentiel. Sans pour autant travailler uniquement des produits dits nobles… Une sardine des Sables-d’Olonne, tout juste pêchée, qui est écaillée, levée en filet, désarêtée, c’est un boulot de titan en préparation, mais son goût est subtil, exceptionnel. Elle mérite d’être servie dans une table étoilée.

Comment bien cuire un poisson ?
J’aime les cuissons du moment, où les filets sont généreusement arrosés de beurre mousseux pour nourrir la chair. Cette dernière doit rester nacrée à l’œil, preuve que le poisson renferme encore son eau de végétation. Je farine souvent les filets d’un côté, pour apporter une consistance croustillante,
ce qui fait ressortir les sucs, l’essentiel du goût. Je propose aussi des cuissons à la plancha, sans
matière grasse, ce qui apporte des notes fumées en bouche.

Faut-il rincer les poissons à l’eau claire avant de les cuisiner ?
Je ne les rince jamais à l’eau plate mais à l’eau de mer. L’idéal pour moi est un poisson qui est incisé au niveau de la queue et qu’on laisse se vider de son sang. Il suffit ensuite de le préparer et de le rincer à l’eau de mer.

Que pensez-vous de la méthode ikéjiméqui permet de faire maturer le poisson ?
Je n’adhère pas du tout à cette tendance autour de la maturation du poisson : un bar, selon moi, est délicieux au bout de 2 à 3 jours maximum. J’aime qu’il y ait encore un arc-en-ciel sur chaque tranche, qu’il renferme encore du jus… S’il est gardé une semaine ou plus, il se vide de ses saveurs iodées, il n’a plus son goût naturel, marin et sa chair se détériore. Après avoir fait plusieurs tests sur des poissons maturés, en cru et en cuit, je n’ai pas constaté d’intérêt gustatif.

Comment bien assaisonner le poisson ?
Je sale la chair du poisson pendant la cuisson, uniquement de la fleur de sel de l’île de Ré. Et j’en rajoute une pincée au moment du dressage. J’utilise aussi beaucoup le piment d’Espelette pour assaisonner les crustacés – langoustines, carabineros, coquilles Saint-Jacques. En revanche, je n’apporte jamais de poivre.

Parlez-nous de vos plats signatures…
Les plats signatures sont dictés par nos clients, comme le civet de homard, que nous avions retiré de la carte pendant un mois mais qui nous a été redemandé. Nous avons aussi les carabineros en deux services ou le soufflé au chocolat.

Il est rare de voir des carabineros, comment les préparez-vous ?
En deux services : d’abord dans un bouillon avec des coquillages, puis pour le 2e service, au naturel, juste saisis avec de l’huile d’olive, de la fleur de sel et du piment d’Espelette, ainsi qu’une sauce réalisée avec les sucs des têtes… Il ne faut rien de plus pour garder toutes les saveurs. Pour moi, c’est vraiment le plus beau des crustacés, à la fois fin et puissant. Et nous les chefs, nous sommes justement là pour faire voyager les clients, leur faire découvrir des produits d’exception.

Vous utilisez aussi parfois du plancton en poudre dans vos recettes… De quoi s’agit-il ?
Le plancton est récupéré, passé dans de l’eau filtrée, puis traité pour être réduit en poudre. J’ai trouvé ce produit, gorgé d’oligo-éléments, en Espagne, car il n’est pas travaillé en France. Je l’utilise tel un assaisonnement car il possède un goût iodé extraordinaire. Mais il faut bien le doser car il est extrêmement puissant en bouche.

Comment avez-vous connu l’hélichryse, très peu répandue en cuisine ?
Comme souvent, il s’agit d’une rencontre… Il y a quelque temps, un producteur de l’île de Ré est venu nous présenter ses produits ; ce dernier cultive ses 12 hectares en bio, avec un cheval de trait. Parmi ses pépites, il y avait ce sirop d’hélichryse, doté d’un parfum unique que j’avais déjà senti dans les dunes de l’île de Ré, ça m’a donné envie de l’intégrer dans ma cuisine…

Vous êtes un précurseur des alliances terre-mer, en quoi vous plaisent-elles ?
Nous avons effectivement été parmi les premiers à associer des saveurs terremer. Mais Auguste Escoffier servait déjà un foie gras au jus de langoustine, il existe aussi de grands classiques comme la matelote d’anguille à base de vin rouge, donc nous y sommes venus assez naturellement. Servir un turbot avec un jus de poulet à l’estragon ou un lieu jaune avec un jus de cochon à la moutarde exhale le goût, rend le plat plus savoureux… On a alors envie de saucer, la gourmandise est décuplée.

Vous proposez aussi des morceaux de poisson peu cuisinés, comme les têtes, les langues ou les foies. Racontez-nous…
Selon moi, un bon cuisinier ne jette rien, nous servons donc les têtes de crevettes frites, les arêtes et les queues de sardines frites également. De la même façon, j’accompagne les anémones de mer de langues de merlu préparées façon meunière. Habituellement, elles ne sont pas forcément cuisinées, mais quel dommage, elles offrent des saveurs iodées extra en bouche, proches de l’huître, de l’oursin… Tout ce qui vient de la mer m’inspire, que ce soit en cru ou en cuit. Les possibilités sont infinies.

Comment bien cuisiner les casserons, les petits de la seiche ?
Je les passe pendant 24 heures au congélateur pour « écarter » les fibres, les attendrir, puis, nous menons une cuisson simple, rapide, à la plancha pour éviter de déstructurer la chair. C’est le même procédé que pour les ormeaux ou les chipirons…

En 2007, vous vous êtes associé avec Nicolas Brossard, alors sommelier et chef de salle, et avez
racheté ensemble le restaurant de vos parents… Comment cela s’est-il passé ?
En 2000, j’ai rejoint mon père pour être en cuisine avec lui, le restaurant s’est alors appelé Richard et Christopher Coutanceau. Nous n’avions pas besoin de nous parler pour nous comprendre… Quant à Nicolas, sommelier de formation, il faisait déjà partie de la maison et travaillait en salle avec ma mère. Puis en 2007, arrivé à un certain âge, mon père voulait passer la main, nous avons donc racheté l’établissement avec Nicolas. Nous avons immédiatement voulu que cette maison nous ressemble en changeant quelques éléments de la décoration, en embauchant, en élargissant notre carte des pains… Dès la première année, nous avons fait 50 % supplémentaires de chiffre d’affaires, ce qui nous a donné une énergie décuplée. Nous sommes extrêmement complémentaires avec Nicolas et nous nous faisons totalement confiance. J’apprécie sa gentillesse naturelle.

Quelle est votre position face à l’éventuelle obtention d’une troisième étoile ?
Pour Nicolas et moi, notre moteur principal est de constamment nous améliorer. Avec les travaux récemment entrepris, nous avons voulu créer un établissement qui nous ressemble à 200 % pour raconter une histoire à nos clients et les emmener dans notre vision de la gastronomie. Ceci dit, qui n’aimerait pas gagner une coupe du monde ? Il ne faut pas non plus être hypocrites, une troisième étoile serait la consécration suprême, même si elle ne doit pas être un but en soi…

CHRISTOPHER COUTANCEAU, EN QUELQUES MOTS…
« Enfant, j’étais inscrit dans un centre de formation en football, il faut dire que j’aimais passer ma vie dehors à faire du sport. C’est cette carrière de sportif de haut niveau qui m’a d’abord attiré » se souvient Christopher Coutanceau. « À 12 ans, j’ai ensuite passé toute une saison, en cuisine, dans le restaurant de mes parents, car ils voulaient que j’aie la notion des choses ». Changement de voie, direction le lycée hôtelier de La Rochelle. Sous l’impulsion de son père, Christopher part en stage au
Miramar à Biarritz auprès d’André Gaüzère. « Un des meilleurs étés de ma vie : j’avais 14 ans et demi, je découvrais un esprit d’équipe comme dans le sport, le tout au bord de la mer à pouvoir surfer et pêcher ». Il poursuit sa formation à Tours chez Jean Bardet, puis à nouveau Biarritz au Café de Paris, des expériences très enrichissantes. Tous les samedis et pendant les vacances scolaires, le jeune cuisinier, déjà passionné, vient aussi donner un coup de main à ses parents. À 16 ans, il fait partie de l’équipe de France des Jeux olympiques de la Cuisine : « Cet esprit de compétition me plaisait »… Il est alors temps d’aller se frotter aux grandes maisons : son tour de France commence chez Michel Guérard en tant que commis pendant un an et demi. « Mon père avait travaillé là-bas en 1975 et pour lui, il s’agissait d’un des plus beaux établissements de France » raconte Christopher. Un passage « obligé » qui s’avère extrêmement formateur. À 18 ans, alors qu’il vient à peine de décrocher son permis, Christopher arrive dans les cuisines d’El Bulli : « Je découvre une brigade de 50 cuisiniers pour 45 couverts, des créations innovantes, c’était une formidable expérience ». Il se rend ensuite à Paris, au Laurent, table pour laquelle Joël Robuchon était alors consultant, puis au Grand Véfour avec Guy Martin. « Petit à petit, je sentais que ces expériences très variées apportaient plusieurs cordes à mon arc ». À 22 ans, il ouvre son propre bistrot, Au vieux port, face aux célèbres tours de La Rochelle. Un succès. Puis en 2000, son père lui propose de revenir dans les cuisines familiales pour un quatre mains derrière les fourneaux. « C’était mon but initial… » En 2007, il rachète le restaurant et s’associe avec Nicolas Brossard. Et depuis, cette belle table étoilée ne cesse de faire parler d’elle. À juste titre.