PAROLE DONNÉE

CYRIL LIGNAC, UN CHEF VRAIMENT À PART

Cyril Lignac est probablement le chef le plus connu de l’Hexagone. Tel un talentueux équilibriste, ce chef d’entreprise jongle avec brio entre cuisine, pâtisserie, chocolaterie, édition et télévision. Il est désormais à la tête d’un groupe totalement indépendant de 150 personnes. En 13 ans, il est passé du statut de jeune chef doué et sympathique à celui de superstar des fourneaux. Rencontre.

TEXTE LESLIE GOGOIS
PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

PAROLE DONNÉE

CYRIL LIGNAC, UN CHEF VRAIMENT À PART

Cyril Lignac est probablement le chef le plus connu de l’Hexagone. Tel un talentueux équilibriste, ce chef d’entreprise jongle avec brio entre cuisine, pâtisserie, chocolaterie, édition et télévision. Il est désormais à la tête d’un groupe totalement indépendant de 150 personnes. En 13 ans, il est passé du statut de jeune chef doué et sympathique à celui de superstar des fourneaux. Rencontre.

TEXTE LESLIE GOGOIS
PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

« Je fais de la cuisine, de la pâtisserie et de la télévision » résume, en souriant, Cyril Lignac, chef incontournable du paysage culinaire français. Sa gentillesse innée, son côté accessible ont fait de lui un cuisinier extrêmement apprécié du grand public. Les gens l’aiment, l’ont vu grandir d’émissions de télé en livres à succès, le suivent sur Instagram. Il fait partie de ces célébrités qu’on a l’impression de connaître. D’ailleurs, tout le monde a un avis sur lui, positif dans la très grande majorité des cas. Pourtant, parfois, sa médiatisation dérange. Il faut dire que le succès est rarement chose facile en France, il peut devenir un poil à gratter qui agace certains esprits chagrins. Et pourtant, les faits sont là. Le jeune premier des fourneaux est aujourd’hui un quarantenaire talentueux, bosseur, doué, qui possède cette grande qualité de savoir (très bien) s’entourer. À commencer par sa garde rapprochée : Laurence Mentil, côté bureau, Aude Rambour, sa chef exécutif qui officie depuis 8 ans à ses côtés, Mathieu Croze, le chef du Quinzième, sa table gastronomique, ou encore Benoît Couvrand, chef pâtissier et associé avec lequel il a développé ses pâtisseries et chocolateries. Déléguer, Cyril sait faire. Mais créer, déguster, être innovant, se remettre en question, imaginer des pâtisseries cultes, ça aussi, il sait faire. Mieux que personne, a-t-on presque envie d’ajouter. Au Quinzième, restaurant auréolé d’une étoile au Guide Michelin, il délivre une cuisine juste, précise, gourmande, audacieuse comme il faut. « Dans tout ce que j’entreprends, j’aime être à cheval entre la tradition et la modernité. Si je propose un pigeon à la carte, il est cuit sur le coffre à la minute par la main du cuisinier, dans le respect de la tradition, ce qui lui donne une jutosité incomparable. Et je l’associe ensuite au miso, pour apporter une note différente en bouche » décrypte Cyril Lignac. Idem pour sa sublime lotte de Roscoff juste nacrée, cuite au sautoir et arrosée de beurre mousseux – simple et succulente – qu’une crème au chorizo Bellota, subtilement épicée, rend singulière, marquante.

« J’aime proposer à nos clients une cuisine qui réchauffe l’âme et fait du bien. Lorsque nous préparons un gâteau de topinambours, foie gras et truffe, nous ne cherchons pas à impressionner, juste à créer un plat gourmand. Ma personnalité n’est pas d’aller vers une cuisine alambiquée. J’ai la chance d’être proche des gens, j’ai donc envie de délivrer des plats qui soient lisibles pour eux, en une bouchée », explique-t-il. Et lorsque nous goûtons sa volaille cuite au poêlon, servie avec un jus de poulet rôti, exceptionnellement savoureux, nous adhérons à ce parti pris du plaisir gourmand et intelligible. Rencontre avec Cyril Lignac qui nous parle de ses différentes casquettes…

La carte du Quinzième oscille constamment entre tradition et modernité…
Effectivement. Il nous tient à coeur de proposer de belles recettes issues de la tradition culinaire française, comme notre tourte de foie gras et pigeon ou les pommes soufflées. De la même façon, lorsque nous travaillons la Saint-
Jacques de plongée, nous choisissons un produit de grande qualité ; la noix est belle, charnue, juste poêlée, pour un côté, là aussi, traditionnel. Mais nous l’accompagnons de wasabi frais, qui apporte une note japonaise, fraîche, inattendue en bouche, me rappelant mes voyages. Autant j’apprécie la tradition, autant je suis à la recherche de saveurs qui me font vivre une expérience, une émotion…

Justement, les produits japonais tiennent une belle place à la carte du Quinzième. Pourquoi un tel choix ?
Notre chef du Bar des Prés, Shu Hasegawa, est japonais. Il est très talentueux et ne choisit que des ingrédients d’exception, qu’il fait directement importer du Japon. Yuzu, feuilles de nori, wasabi, ponzu, tout a été rigoureusement sélectionné par nos soins. Ces produits sont magnifiques et j’ai régulièrement envie de les intégrer dans certaines recettes du Quinzième.

Comment faites-vous ces « passerelles » de goûts entre Le Bar des Prés et Le Quinzième ?
Au Bar des Prés, nous servons, par exemple, une recette de saint-jacques gratinées au miso. En dégustant ce plat, cette alliance est entrée dans ma tête, comme dans une grande bibliothèque générale des goûts. Petit à petit, l’envie de glacer une viande avec ce miso m’est venue. Et c’est ce que nous avons fait au Quinzième, après plusieurs tests, avec un pigeon cuit à la minute sur coffre. Je segmente dans ma tête nos différents restaurants ; pour autant, il me semble intéressant d’avoir sans cesse l’esprit ouvert pour se renouveler.

Vous servez un magnifique agneau de lait du Pays basque. Parlez-nous de son origine…
Je travaille avec Terroirs d’Avenir et, il y a quelque temps, ils m’ont parlé de Xole, une jeune productrice d’agneau de la vallée des Aldudes, qui proposait une viande de très bonne qualité. Malgré son savoir-faire, elle avait du mal à développer son activité. Et c’est ainsi que nous nous sommes mis à nous fournir chez elle, après avoir goûté son agneau. Il me paraît important de travailler avec de petits producteurs d’exception et de pouvoir les aider, à notre niveau.

Vous proposez un magnifique plat d’ormeaux. Qu’aimez-vous dans ce produit ?
Les ormeaux sont sublimes lorsqu’ils sont bien cuisinés. Pour moi, ils sont le gage de qualité des belles maisons car ils requièrent une grande technique.

Nous les cuisons au beurre mousseux, de façon traditionnelle. Ils sont ensuite servis avec des poireaux grillés et nous venons leur apporter une sauce ponzu, délicate, acidulée. Elle reste discrète car il m’importe de respecter le goût originel de l’ormeau.

Que pensez-vous de la notion de « plats signatures » ?
J’aime être dans un perpétuel avancement, donc le côté figé des plates signatures me dérange un peu. C’est tellement triste des recettes qui ne bougent pas. Je ne sers pas la même cuisine aujourd’hui qu’il y a un an, j’ai une année supplémentaire de vécu, d’expériences, de voyages. Je vis dans la vie actuelle, ni dans le passé, ni dans le futur. Ce qui m’intéresse ? Faire constamment évoluer nos anciennes bases, progresser. Ceci dit, rien ne nous empêche de laisser une recette à la carte lorsque nous la trouvons vraiment aboutie. Comme la langoustine servie grillée et en tartare avec son dashi en émulsion .

Parlez-nous du Bar des Prés…
Le concept de ce lieu, je le dois en grande partie à Laurence Mentil, Directrice Générale du Groupe, ma « muse » pour ce projet. Nous avions déjà ouvert Aux Prés, et les clients, souvent, buvaient un verre sur le trottoir, en attendant leur table. Comme il y avait ce petit local libre juste à côté, nous avons eu l’idée de créer un concept amusant, un bar un peu atypique, hybride. De fil en aiguille, Le Bar des Prés est né, une adresse à part entière. Laurence m’a poussé à me faire plaisir, sans me mettre de limites, oublier les contraintes, la pression, tout le bien-pensant pour créer le lieu qui me ressemble. Aujourd’hui, je crois que c’est une de mes plus belles réussites. Sûrement car j’ai osé m’écouter.

Quelles sont, selon vous, vos qualités ?
Je suis extrêmement curieux, j’aime apprendre et, d’ailleurs, j’aime apprendre pour rectifier et constamment avancer. Rien n’est jamais figé. Mon moteur quotidien est là : je cherche toujours à aller plus loin.

Aimez-vous cultiver votre différence ?
Oui, en cultivant cette différence, j’essaie d’être différenciant dans ma cuisine, dans la façon d’ouvrir des restaurants, dans la manière dont je réfléchis la cuisine.

Quel rapport entretenez-vous avec la télévision ?
Depuis ma toute première émission Oui Chef, la télévision fait partie de ma vie et j’en suis heureux. Kitchen Factory, la société de production que je gère avec Matthieu Jean-Toscani, fait partie intégrante du Groupe. Nous produisons nos propres émissions, dont Les Rois du gâteau, un programme quotidien qui me fait aller à la rencontre de pâtissiers amateurs.

Une 2e étoile au Guide Michelin est-elle un rêve pour vous ?
Notre volonté, au quotidien, est de tout mettre en oeuvre pour nous améliorer, notamment au Quinzième, notre table gastronomique. Bien sûr que nous travaillons dur dans l’espoir d’arriver un jour à la 2e étoile…

Quels sont vos projets pour la suite ?
Nous avons démarré il y a 13 ans, il est donc temps de réactualiser certaines choses. Par exemple, Le Chardenoux, ouvert il y a 10 ans. Nous le fermons pour refaire la cuisine, la salle, le décor, le concept, l’identité visuelle. Il s’agira presque plus d’une ouverture que d’une réouverture… Aujourd’hui, cet établissement n’est plus en cohérence avec ce que je suis, avec la cuisine que j’aime servir. Nous avons la chance que notre société connaisse une belle croissance, mais l’essentiel n’est en aucun cas d’ouvrir de nouvelles adresses à tout prix, en laissant nos premiers lieux de côté. Au contraire, nous menons une action commune, pour éviter de nous reposer sur nos lauriers. À nous de motiver nos collaborateurs et d’être à l’écoute de ce qu’aiment nos clients.

Selon vous, qu’est-ce qui fait la force de votre groupe ?
La stabilité de notre groupe vient de nos formidables collaborateurs. Il s’agit d’une équipe qui se connaît bien et aime être ensemble. Ils déploient tous une incroyable énergie pour qu’on évolue, qu’on grandisse. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. Nous partageons nos idées, en débattons. Je crois que là est vraiment notre force : un travail collégial qui se fait dans l’échange. Je dis souvent que tout seul, on va plus vite, mais à deux on va plus loin… Et aujourd’hui, nous mettons tout en oeuvre pour que notre marque soit incarnée et rayonne.