PAROLE DONNÉE

OLIVIER BELLIN, OU L’EXCELLENCE DE LA BRETAGNE

Olivier Bellin nous prévient tout de go « Ici, on vit en autarcie, au bout du monde, comme des
Indiens ». Il faut dire que son Auberge des Glazicks, sur laquelle brillent deux étoiles Michelin, est
située à Plomodiern, un village breton à 30 minutes de Quimper. Rencontre avec ce chef pour qui la
Bretagne coule dans les veines

TEXTE LESLIE GOGOIS
PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA

PAROLE DONNÉE

OLIVIER BELLIN, OU L’EXCELLENCE DE LA BRETAGNE

Olivier Bellin nous prévient tout de go « Ici, on vit en autarcie, au bout du monde, comme des
Indiens ». Il faut dire que son Auberge des Glazicks, sur laquelle brillent deux étoiles Michelin, est
située à Plomodiern, un village breton à 30 minutes de Quimper. Rencontre avec ce chef pour qui la
Bretagne coule dans les veines

« C’est ça, la vraie Bretagne. Nous sommes ici dans le Finistère, le penn-ar-bed, qui signifie le bout du
monde, la fin de la terre », annonce ce chef amoureux de sa région qui réussit la prouesse de faire
venir ses clients dans cet îlot loin de tout. Ainsi, ce Breton inconditionnel a su transformer, au fil des
ans, l’ancien bistrot routier tenu par sa grand-mère et sa mère en une table gastronomique prisée
mettant à l’honneur l’Armor (la Bretagne littorale) et l’Argoat (la Bretagne intérieure et boisée). Ainsi,
joue de porc, boudin, pied de cochon – des « produits tripiers de la terre » comme les appelle Olivier
Bellin – s’acoquinent avec des fruits de mer. Des sauces au vin rouge, habituellement réservées aux
viandes, viennent chatouiller les poissons. Les crispy de langoustines sont bousculées par un jus de
porcelet. Quant aux huîtres Perle noire, elles sont servies crues accompagnées de ragoût de cochon.
Terre et mer ne se quittent jamais et se retrouvent même en osmose parfaite dans des accords
audacieux. Rencontres souvent improbables, mais tellement percutantes. De celles qui ne s’oublient
guère, après dégustation. 8 h 30, un jour d’été à l’Auberge des Glazicks. Turbots, homards,
langoustes, maquereaux, tous d’une fraîcheur éclatante, prennent déjà possession des cuisines
d’Olivier Bellin. La brigade commence à s’agiter, Guillaume, son second, manie poissons et crustacés
avec une dextérité épatante. Le chef arrive et il a un oeil sur tout, les ordres fusent : « Tu lèves les
filets des maquereaux ». « Tu me sors le consommé, on le monte à l’ébullition et on le clarifie ». Le
consommé en question est à base de homard mais aussi de boeuf pour apporter une rondeur
étonnante, toujours dans cet esprit d’assemblage terre et mer ; il peut être servi froid ou chaud au gré
des envies du chef. Ici, les filets de bar sont levés en quelques minutes. Là-bas, le confit d’oignons de
Roscoff se mélange avec une pointe de parmesan et une très fine brunoise d’écorces de citron. « Je
ne blanchis jamais les écorces de citron, car c’est à cru qu’elles libèrent tous leurs parfums. Enfin,
c’est mon opinion personnelle… » Mais ici l’ingrédient star des cuisines, c’est clairement le blé noir (ou
sarrasin). Olivier Bellin est le premier chef à avoir eu l’idée de le détourner de l’univers des crêpes
pour qu’il devienne un ingrédient à part entière dans ses recettes gastronomiques. Qu’il soit infusé
dans du lait, transformé en glace, parsemé au moment du dressage pour apporter du croquant, le blé
noir fait désormais partie de l’ADN de l’Auberge des Glazicks (cf. page 8). 11 heures, la cuisine est
silencieuse et très concentrée. La cuisine est silencieuse et très concentrée. Il faut dire que chaque
minute de mise en place compte car trente couverts sont prévus ce jour-là au déjeuner ainsi qu’au
dîner. La capacité maximum du restaurant. Et au détour d’une conversation avec Olivier Bellin, nous
parlons de la consécration suprême. Celle du clan très fermé des triplement étoilés. Est-ce son but ? «
Oui, je rêve de faire partie de cette stratosphère », nous confie Olivier Bellin avec une sincérité
désarmante. Ses yeux brillent, on sent son âme d’enfant, attachante et pleine d’envies, qui se projette
dans de nouveaux horizons. « Je ne courrai pas toute ma vie après la troisième étoile car cette quête use mentalement et physiquement. Mais pour le moment, j’ai envie de tout mettre en oeuvre pour aller
dans ce sens. Je ne veux avoir aucun regret »… C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Il est alors 12 h
25 en cuisine, la première table arrive en salle. Le chef annonce « Une mise-en- bouche pour deux ».
« Oui chef », répond la brigade à l’unisson. La valse des saveurs peut alors commencer.

PAROLES DE CHEF AVEC OLIVIER BELLIN

Les associations terre-mer font partie intégrante de votre cuisine…
Depuis 2007, je travaille beaucoup sur ces associations. Je sers, par exemple, un homard avec une
frite coulante au chorizo ou encore des langoustines avec girolles, amandes fraîches, abricot et
quelques lamelles de langues de cochon… J’ai choisi la langue de cochon, qui a ce côté musculeux
en bouche, si j’avais mis du chorizo, cela aurait été trop gras. Ces plats me parlent, depuis toujours ;
j’aime cet univers viandard, sanguin. D’ailleurs, ma mère proposait déjà une recette d’andouille et noix
de Saint-Jacques dans le restaurant familial. Au fil des années, j’ai gardé ces inspirations mais en
allant vers plus d’élégance. Je les affine constamment. Quand je sers un turbot, huître et pied de
cochon, je ne veux pas que ce dernier prenne le pas sur le reste.

Vous êtes installé dans une région assez éloignée de tout. Comment faites-vous pour trouver vos fournisseurs ?
Nous avons un gros potentiel touristique à Plomodiern mais pour se fournir en bons produits, nous
rencontrons, c’est vrai, de réelles difficultés. Nous ne sommes ni dans un port, ni entourés d’élevages.
J’ai donc dû convaincre des producteurs bretons, souvent assez loin de chez moi, de travailler à mes
côtés. La Bretagne est une mine en produits laitiers, en volailles, en produits de la mer. Nous avons
aussi des légumes formidables comme le chou-fleur, l’oignon, l’artichaut et la pomme de terre. C’est
une terre d’élevage de qualité avec des paysans investis qui font un travail formidable. Je me fournis,
par exemple, chez un éleveur de cochons dans le Finistère Nord. Je veux vraiment travailler avec lui
mais ce n’est pas simple à mettre en place au niveau de la logistique. Je dirais que je sers une cuisine
locale car principalement élaborée avec des produits bretons, mais pas une cuisine locavore.

Comment votre cuisine a-t-elle évolué ces dernières années ?
Depuis deux ans, j’ai changé radicalement pour aller vers des choses plus pointues, moins
brouillonnes. Avant, par exemple, je servais une série de 7 amuse-bouches, c’était beaucoup trop.
Aujourd’hui, je me concentre sur 4 mise-en- bouches seulement, comme une Crème de chou-fleur,
encre de seiche et glace au chèvre ou une Croquette coulante au beurre d’algue. Avec cette
croquette, le client sait immédiatement qu’il est au bout du Finistère. Je dépouille mes assiettes, je
vais vers plus de simplicité car j’ai compris qu’exceptionnel ne voulait pas dire complexe… Je voudrais
que la technique, le travail soient mis au profit de l’émotion.

Vous parlez des algues, comment les intégrez-vous dans votre cuisine ?
Les algues, notamment nori et wakamé, sont assez nouvelles pour moi. Je les utilise comme
condiment, en exhausteur de goût dans une sauce, en assaisonnement aussi car j’essaie au
maximum de baisser le sel dans mes plats. J’aime, par exemple, combiner les haricots verts avec des
amandes fraîches et des algues pour apporter une touche saline, iodée.
Quand vous parlez de simplicité, comment cela se traduit-il concrètement dans vos recettes ?
Par exemple, pour les moules, je les plonge 7 à 10 secondes dans de l’eau bouillante salée, plutôt
que de les cuire à la marinière. J’obtiens ainsi une belle puissance gustative en supprimant tous les
éléments aromatiques. Peu à peu, j’enlève de ma cuisine tout ce qui ne sert à rien. Idem pour mon
bouillon de crevette : je mixe simplement les carcasses, je mouille avec un bouillon de légumes. À la
première ébullition, je stoppe la cuisson pour que le résultat soit très pur, net. Contrairement à la
cuisine bretonne traditionnelle où on rajoute du beurre, de la crème, je cherche à fixer le goût sans
corps gras… J’adore le beurre mais j’ai appris à le supprimer dès qu’on peut s’en passer. Au lieu des
cuissons longues d’une trentaine de minutes, je vais vers une coagulation très rapide de 5 minutes qui
préserve toutes les saveurs olfactives et gustatives.

Vous n’utilisez que des poissons sauvages ?
Oui, dans ma culture personnelle, je suis contre l’élevage. Je sais que cela doit exister mais selon
moi, les poissons d’élevage n’ont aucun goût. J’aime aussi respecter les saisons. Le bar disparaît de
ma carte pendant un mois et demi car sa pêche est interdite lorsqu’il fraye. Je refuse de travailler
uniquement des poissons nobles. Cette année, j’ai mis un maquereau dans le menu découverte : peu
cuit, quasiment bleu, avec un parfum fumé et quelques notes de tomate et de framboise pour l’acidité.

Vous servez aussi du mulet de pleine mer, un poisson peu courant…
J’adore ce poisson. C’est le « bar du pauvre » avec un goût légèrement plus prononcé, mais une
texture assez identique.

Comment préparez-vous les barbajuans de pigeon ?
Pour la farce, je fais suer des échalotes très rapidement avec un peu de vinaigre de vin et d’estragon.
Et je les mélange avec le coeur et le foie du pigeon concassés juste saisis mais encore crus. Les
barbajuans sont ensuite façonnés, puis frits à la dernière minute.

Vous utilisez beaucoup de fenouil des dunes, pourquoi ?
Il est tout en élégance, presque féminin : il a des saveurs iodées, anisées, en restant subtil. On le
ramasse ici à
Plomodiern, dans les dunes. Je l’intègre, par exemple, dans mon consommé de langoustines : je le
fais infuser avec un peu de basilic et de menthe, juste 5 minutes pas plus, sinon on obtient une
décoction et non l’infusion que je cherche.

Vous aimez les notes acides. Comment les apportez-vous ?
Plutôt que du citron, qui ne pousse pas du tout de ma région, je travaille notamment le lait Ribot. Son
côté fermenté apporte une acidité intéressante.

Parlez-nous du kig homardz…
Je revisite un grand classique de la cuisine bretonne, le kig ha farz, un pot-au-feu à base de cochon,
boeuf et légumes cuits dans le bouillon, dans lequel sont intégrés un far blanc à base de froment et un
far noir à base de sarrasin. Dans ma version, je remplace les viandes par du boudin noir, de la
saucisse et du homard, tout en gardant l’esprit d’un potau- feu cuit dans le bouillon. Ce plat est
traditionnellement servi avec deux sauces, le lipig, un beurre blanc aux oignons confits que j’ai allégé
en faisant juste suer des oignons au beurre avec un trait d’huile verte, et une sauce tomate que j’ai
remplacée par une sauce homardine. Je le sers ensuite avec un condiment au pamplemousse et un
voile de tête de cochon, très discret.

Comment préparez-vous le far noir qui entre dans votre recette de kig homardz ?
Je place le far noir dans un sac en toile de lin et je le cuis dans du bouillon de légumes pendant 2 h à
2 h 30. La toile de lin est intéressante car elle crée une diffusion des saveurs entre le far et le lin.
Ensuite, je poêle le far au beurre avant de le bruguner, c’est-à-dire de le tailler en brunoise en breton
et de l’intégrer à ma recette.

Qu’est-ce qu’un grand plat pour vous ?
Celui qui génère une forte émotion lors de la dégustation. En repartant, vous vous dites « Ça, je ne l’ai
pas vécu ailleurs ». J’aime les chefs qui racontent vraiment une histoire dans leur cuisine. C’est ce
que j’essaie de faire à mon niveau avec mes influences familiales, ma région. Je vais vers des plats
très lisibles qui sont en adéquation avec mon histoire personnelle comme ce bouillon de moules
accompagné de mini-beignets d’algue ou le kig homardz.