PAROLE DONNÉE
LA PÂTISSERIE À L’HÔTEL DE CRILLON PAR JÉRÔME CHAUCESSE
Jérôme Chaucesse est de cette trempe : le temps de la fermeture de l’Hôtel de Crillon pour travaux, ce talentueux pâtissier ne s’est pas reposé sur ses lauriers. Tant s’en faut puisqu’il a passé et remporté, en 2015, le concours du MOF, sûrement le plus prestigieux dans cet univers… Il a aussi créé une foule de desserts extrêmement bien ciselés. Comme cet incroyable soufflé qui continue de pousser en salle devant les clients. Six mois de tests ont été nécessaires pour obtenir ce résultat flamboyant, qu’il est aujourd’hui le seul à maîtriser. Rencontre avec ce technicien créatif.
TEXTE LESLIE GOGOIS I PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA
PAROLE DONNÉE
LA PÂTISSERIE À L’HÔTEL DE CRILLON PAR JÉRÔME CHAUCESSE
Jérôme Chaucesse est de cette trempe : le temps de la fermeture de l’Hôtel de Crillon pour
travaux, ce talentueux pâtissier ne s’est pas reposé sur ses lauriers. Tant s’en faut puisqu’il a passé et
remporté, en 2015, le concours du MOF, sûrement le plus prestigieux dans cet univers… Il a aussi
créé une foule de desserts extrêmement bien ciselés. Comme cet incroyable soufflé qui continue de
pousser en salle devant les clients. Six mois de tests ont été nécessaires pour obtenir ce résultat
flamboyant, qu’il est aujourd’hui le seul à maîtriser. Rencontre avec ce technicien créatif.
TEXTE LESLIE GOGOIS I PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA
Comment avez-vous réfléchi la carte pour la réouverture ?
J’ai une grande chance, car je suis à l’Hôtel de Crillon depuis 2004. J’ai donc connu cet établissement avant, pendant et après les travaux. La période de fermeture m’a donné le temps d’accomplir beaucoup de choses et de penser bien en amont au nouveau concept à mettre en place à la réouverture.
Justement comment décririez-vous aujourd’hui votre pâtisserie ?
Je défends une pâtisserie authentique et moderne où design et élégance sont mis au service du goût. Je suis extrêmement attaché à mes racines, au patrimoine français gastronomique. Cela fait partie de ma culture et de mon éducation.
À l’heure des desserts « désucrés », comment vous positionnez-vous sur ce sujet ?
À 29 ans, je suis arrivé en tant que chef pâtissier chez Michel Guérard à Eugénie-les-Bains. J’y ai appris le bon dosage du sucre et me suis perfectionné dans le goût et l’équilibre des saveurs. Je
n’aime pas l’expression « désucrer » les desserts, car tout est affaire d’équilibre, c’est ce que je répète constamment à mon équipe. Le jus de citron peut, par exemple, révéler le parfum d’un fruit, le sel peut apporter de l’équilibre à un dessert en contrebalançant le sucre.
À l’Écrin, la table gastronomique, vous servez un dessert à base de chocolat et sarrasin, parlez-nous de cette association…
Le chocolat est indispensable sur une carte. J’ai choisi ici un chocolat assez doux, le Caraïbe, qui apporte un goût cacaoté, mais sans amertume. Je l’associe au café et au sarrasin torréfié puis sablé.
Comment faites-vous évoluer la carte des desserts ?
À l’Écrin, les desserts sont éphémères, aussi bien devant le client que sur la carte. Je ne me mets aucune barrière : une recette peut rester 15 jours sur le menu ou un mois et demi, il n’y a pas de
règle. Tout se fait en fonction des produits et de mon inspiration. J’ai besoin d’un coup de cœur pour qu’un dessert arrive sur une carte. C’est valable pour tous nos univers, à l’Écrin bien sûr, mais aussi à la brasserie, au tea time…
Vous travaillez uniquement avec des produits de saison, cela vous tient-il à cœur ?
Absolument. Il y a quelques semaines, j’ai par exemple arrêté la tarte aux fraises pour le Jardin d’hiver car la qualité des fruits n’était plus au rendez-vous en fin de saison. Et je n’ai pas envie d’acheter à l’étranger. Les fruits que nous utilisons sont cueillis la veille, mis en barquettes et livrés le matin à 9 h dans nos cuisines. Ils ne passent jamais par un réfrigérateur à Rungis… Cette qualité est déterminante pour moi, je travaille en direct avec des producteurs installés pas trop loin de Paris.
Il se chuchote que vous êtes en train de créer un jardin. Racontez-nous.
Je suis effectivement en train de mettre en place un jardin à 20 kilomètres de Paris pour que nous ayons à portée de mains nos propres fruits. J’ai, par exemple, sélectionné 7 ou 8 variétés de fraises, qui me permettront de tenir du mois de mars jusqu’en octobre. Nous pourrons ainsi utiliser chaque variété à son apogée.
Vous avez décroché le titre de MOF en mars 2015. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Le MOF a été un moment exceptionnel pour moi. Je me suis entraîné un an et demi non-stop, en mettant de côté la famille, les vacances, les week-ends… À mon sens, le concours du MOF doit être vécu comme une parenthèse.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaiteraient tenter l’expérience ?
D’être bien épaulé par leur famille. C’est le travail d’une seule personne qui est jugé mais elle ne peut y arriver sans être soutenue psychologiquement par son entourage. Il est aussi important d’être entouré de parrains : quand vous refaites un gâteau une quinzaine de fois, que vous le faites évoluer, vous n’avez plus le recul nécessaire pour le juger : quelqu’un doit alors venir de l’extérieur pour vous dire « Bravo, c’est bon, tu ne changes plus rien ».
Quels parrains avez-vous pris ?
J’ai choisi trois coachs, tous très forts dans leur domaine. Sébastien Serveau, un technicien de la structure, Yann Brys qui avait l’expérience du MOF et Pierre Hermé, véritable mentor du goût. Quand vous réunissez trois talents tels que ceux-ci, je peux vous dire que vous ressentez une certaine pression lors de tastings ! Et sinon, Nicolas Boussin a joué un rôle très important aussi, j’éprouve un grand respect pour lui car il m’a accueilli dans le laboratoire de Grand-Marnier, où il travaille. J’ai ainsi passé un an et demi à ses côtés.
Est-ce que vos entraînements pour le MOF vous ont servi pour construire la nouvelle carte de desserts de l’Hôtel de Crillon ?
Oui, j’ai, par exemple, changé de farine. Lors de mes entraînements, j’ai eu l’occasion de tester différentes farines. C’est ainsi que j’ai rencontré un meunier formidable, à taille humaine, avec qui je travaille aujourd’hui. Il propose des farines très bien raffinées, pratiquement toutes fabriquées à la pierre de meule. Comme cet artisan est extrêmement réactif, je peux facilement faire des essais.
Qu’avez-vous noté comme évolutions dans le monde de la pâtisserie ?
Il y a 30 ans, les recettes ne circulaient pas comme maintenant. Je me souviens de mon chef d’apprentissage auprès de qui je suis resté 3 ans. Nous préparions des chocolats muscadines pour
Noël ; eh bien, une partie des pesées se faisaient toujours quand j’étais absent, je n’ai eu la recette que la dernière semaine ! Même dans les magazines, les recettes étaient biaisées, il manquait un ingrédient, les pesées n’étaient pas exactes… Depuis, heureusement, les choses ont changé. Nous sommes beaucoup plus ouverts, c’est ce qui fait évoluer la pâtisserie à vitesse grand V. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les visuels font le tour du monde en quelques secondes…