BOIRE
PETITE DISTILLERIE, GRANDES EAUX-DE-VIE !
Dans le secret d’un petit village du Minervois, dans le Languedoc, Patricia et Laurent Gaspard maîtrisent l’alambic avec beaucoup d’esprit pour mettre en bouteilles des merveilles d’abricot, de poire, de marc et de gins.
TEXTE : PIERRICK JÉGU | PHOTO : OLIVIER ROUX
BOIRE
PETITE DISTILLERIE, GRANDES EAUX-DE-VIE !
Dans le secret d’un petit village du Minervois, dans le Languedoc, Patricia et Laurent Gaspard maîtrisent l’alambic avec beaucoup d’esprit pour mettre en bouteilles des merveilles d’abricot, de poire, de marc et de gins.
TEXTE : PIERRICK JÉGU | PHOTO : OLIVIER ROUX
Patricia est professeur de mathématiques à Quarante, Laurent enseigne le français à Saint-Pons. Ces deux-là se sont rencontrés il y a longtemps dans la salle des profs d’un établissement scolaire de Dax, dans un autre Sud. Originaire de la région bordelaise, comme elle, Laurent a grandi juste à côté de Haut-Brion et se souvient d’avoir vu dans le coin des vignes tirées au cordeau, « parquées ». À la fin des années 2000, les voilà dans le Languedoc. L’envie de vivre au milieu de vignes tenaille Laurent, mais auprès de vignes en liberté. Sur la carte, leurs doigts se posent sur Saint-Jean-de-Minervois, village perché sur un plateau calcaire régulièrement battu par les vents. Après les maisons, un canyon et un relief de schistes qui prend de la hauteur. S’installer là, à coup sûr, mais pas pour vivre l’endroit en spectateur, enfermés dans une villa avec piscine. S’inscrire dans le paysage, faire quelque chose en ce lieu, trouver sa place. En plus du boulot de prof, cette place serait donc « incarnée » par une distillerie, « parce que la grappa italienne et parce que, dans ce coin du Minervois, on est dans un pays de muscat ». Donc, une vieille maison au cœur du petit bourg abrite toujours dans sa cour un vieux pressoir fatigué et, depuis onze ans, une distillerie de poche montée sur deux petits niveaux derrière une porte en bois rouge. À l’intérieur, une pièce maîtresse en cuivre, un alambic à feu nu rutilant. Avec une humble production de 3 000 bouteilles par an, La Distillerie du Petit Grain ne risque pas de faire peur aux gros faiseurs sur un marché de volume. En revanche, chez les cavistes les plus pertinents comme dans les meilleurs bistrots ou les tables étoilées, ses eaux-de-vie élaborées à échelle et dans l’esprit artisanal mettent à genoux tous les amateurs. C’est que Patricia et Laurent s’amusent, mais le plus sérieusement du monde.
« Appros » de première et distillation précise
Rien n’est laissé au hasard, à commencer par les approvisionnements. Ce matin-là, Laurent nous embarque pour presque deux heures de camionnette jusqu’à Trouillas, dans les « PO » – comprenez les Pyrénées Orientales. La mission du jour ? Aller chercher des abricots chez Joël Salvador, producteur qui accepte de faire du « sur-mesure » pour Laurent. Ce dernier l’a incité à convertir son exploitation en bio, a choisi la variété Rouge du Roussillon, a ses exigences quant à la maturité et à la qualité des fruits qui doivent être sucrés sur l’arbre. « C’est difficile de trouver quelqu’un comme Joël qui accepte ça parce que tous les producteurs de fruits, même les petits, sont soumis aux volontés de l’industrie agroalimentaire. Ça leur permet d’ailleurs de n’avoir aucune perte et même de vendre des fruits verts », explique Laurent. Les abricots sont cueillis sur l’arbre en sacs puis transportés en cagettes sur la remorque d’un petit tracteur. Une fois la camionnette remplie « ras la gueule », retour vers Saint-Jean-de-Minervois. L’après-midi, « atelier » dénoyautage dans la cour devant la distillerie, avec quelques petites mains parmi les copains et les voisins. Les fruits éventuellement gâtés sont écartés. Ensuite, les abricots sont transvasés dans une cuve de fermentation équipée d’un contrôle de température pour éviter que la fermentation – sans levurage – ne parte trop vite. Après, vient le temps de la distillation dans l’alambic à feu nu. C’est aussi là que la volonté et le talent du distillateur s’expriment. La chauffe est maîtrisée avec précision. À la sortie, seul le cœur de chauffe est conservé, têtes et queues de distillation étant éliminées pour ne pas infliger à l’eau-de-vie naissante une trop forte puissance alcoolique ou de possibles déviances aromatiques. Dans sa volonté de rester au plus près du fruit, de ne pas le dépouiller, Laurent ne filtre pas le distillat.
Une démarche personnelle
Il a appris la distillation en autodidacte : « Je n’aimerais pas qu’on vienne ici et qu’on me dise quoi faire. Ici, c’est le lieu libre de l’instinct. Je fais ce que j’ai envie de faire. J’essaie de retranscrire mon chemin vers la matière, en fonction des saisons. » Pour lui, « la distillation se fait en deux dimensions, l’aromatique et la structure en bouche ». De manière générale, il veut « du fruit, de la fleur, des arômes frais et fins, pas de la compote ». Là est la véritable signature des eaux-de-vie du Petit Grain. L’abricot, très proche de la texture du fruit, livre une impression pulpeuse en une rondeur qui s’évanouit. La superbe poire williams, aux arômes subtils, se révèle tout en longueur et en force tranquille. Le marc de muscat « Les Grains d’ambre » s’exprime avec beaucoup d’amabilité, sans agressivité, et pianote des notes délicates de litchi, de rose ou de thym. Pour ce marc, Patricia et Laurent s’approvisionnent au Clos du Gravillas, domaine viticole voisin – les Gaspard sont très proches des vignerons bio-nature du coin. Quant aux formidables gins, ils sont carrément à tomber, nourris entre autres de genièvre qu’il va cueillir dans la campagne : le « Gin d’avril » composé d’ingrédients printaniers, le gin « Collection de Bigarades », ample, élaboré notamment à partir d’une sélection de trois bigarades, aux arômes complexes de mandarines, romarin, bourgeon de cassis ou encore de poivre, et le gin aux agrumes, extraordinaire d’équilibre et d’élégance naturelle. Fraîcheur, précision, on retrouve tout ça dans les productions maison. Rien d’exagéré ni de caricatural mais, tout en gardant une proximité remarquable avec la matière première, une légèreté presque aérienne et impressionniste. D’ailleurs, on se prend à penser que Patricia et Laurent s’expriment en inventant des eaux-de-vie comme ils pourraient aussi le faire sous une autre forme d’art, en peinture ou en photo.